En début 2015, le Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de l’ONU (CEDEF) et la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) vont publier les conclusions de leurs enquêtes menées en 2013 sur les centaines de meurtres et de disparitions de filles et de femmes autochtones au Canada.
L’Alliance canadienne féministe pour l’action internationale (AFAI) et l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) ont demandé au Comité de la CEDEF et à la CIDH de mener des enquêtes officielles parce que la violence exercée contre les femmes et les filles autochtones est une véritable crise des droits de la personne. Plusieurs organisations et individus travaillent d’arrache-pied depuis des années pour contrer cette violence. L’AFAI et l’AFAC croient qu’un examen par des expertes internationales ne peut que faire avancer notre cause.
Ces enquêtes sont les premières menées par des instances internationales des droits de la personne sur les violations des droits humains des filles et des femmes autochtones au Canada. Nous vous invitons à vous renseigner sur ce sujet et à nous aider à diffuser l’information concernant les droits humains des filles et des femmes autochtones.
Afin de joindre notre réseau de solidarité ou si vous avez des questions, veuillez envoyer un courriel à Mme Cherry Smiley : solidarityfafia-afai.org
Meurtres et disparitions de filles et de femmes autochtones
Les filles et les femmes autochtones subissent des niveaux de violence extrêmement élevés au Canada. Les femmes autochtones signalent des taux de violence (incluant la violence conjugale et les agressions sexuelles) 3,5 fois plus élevés que les femmes non-autochtones. Les jeunes femmes autochtones sont cinq fois plus susceptibles que les autres femmes du même âge de mourir de mort violente . Les femmes et les filles autochtones vivent des niveaux élevés d’agressions sexuelles et de violence dans leur famille et leur communauté, et des niveaux élevés de violence perpétrée par des étrangers dans la société.
Ci-dessus : Jeannette Corbière Lavell, Présidente de l’Association des Femmes Aborigène du Canada, et Sharon McIvor, Représentative de l’AFAI au CIDH (mars 2012).
Entre 2005 et 2010, l’AFAC, par le biais de son projet Sœurs par l’esprit, a documenté les disparitions ou les meurtres de 582 femmes et filles autochtones durant une période de 20 ans. Mais en 2010, le gouvernement du Canada a interrompu le financement de Sœurs par l’esprit et l’AFAC a malheureusement du interrompre ce projet.
L’AFAC a toujours cru que le nombre de cas de violence est beaucoup plus élevé que celui qu’elle a pu documenter à partir de sources publiques. Depuis plusieurs années, les inexactitudes dans les données utilisées pour identifier la race des victimes et des auteurs de violence dans les cas de meurtres et de disparitions de femmes et de filles autochtones sont bien connues et prises en compte, y compris par Statistique Canada.
Vers la fin de 2013, la Gendarmerie royale du Canada a commandé une étude sur les meurtres et disparitions de filles et de femmes autochtones. Les conclusions de cette étude ont été publiées en mai 2014. La GRC a documenté 1 181 meurtres et disparitions entre 1980 et 2012, à partir des données récoltées par plus de 300 corps policiers . Ces chiffres confirment l’étendue de la violence et la surreprésentation des filles et des femmes autochtones parmi les femmes disparues et assassinées au Canada.
Ci-dessus: Tracy Robinson, Présidente de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) en train d’animer le Briefing Thématique avec AFAI et AFAC.
Deux facettes de la violence
Les familles des filles et des femmes autochtones et diverses organisations non-gouvernementales ont identifié deux facettes de la violence à l’égard des femmes de leurs communautés :
- L’échec du système de justice canadien à protéger les filles et les femmes autochtones de la violence; à mener promptement des enquêtes approfondies lorsqu’elles disparaissent ou sont assassinées; et à échanger efficacement des informations entre les services de police fédéraux, provinciaux et territoriaux en vue de résoudre ces affaires et de poursuivre et punir les auteurs de ces violences.
- L’échec des gouvernements au Canada à aborder et pallier les conditions sociales et économiques défavorables dans lesquelles vivent de très nombreuses filles et femmes autochtones. Ces conditions les rendent vulnérables à la violence et incapables d’y échapper.
Ces deux facettes combinées sont le fondement de l’échec du Canada à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à faire progresser l’égalité au pays. L’adoption de mesures pour remédier à l’une des deux facettes, sans tenir compte de l’autre, ne peut que perpétuer la violence sans y remédier.
- Les données les plus récentes sur les conditions des femmes et filles autochtones dévoilent que :
- 37% des femmes des Premières nations (hors réserve) vivent dans la pauvreté (sous le seuil de faible revenu du Canada), tout comme 23% des femmes métisses et inuites. C’est plus du double du taux des femmes non-autochtones; (il n’existe pas de statistiques sur la pauvreté pour les femmes des Premières nations vivant sur des réserves);
- Les femmes autochtones sont plus à risque que les non-autochtones de se voir retirer leurs enfants par les autorités aux termes des lois sur la protection de l’enfance pour « négligence ». Telle que définie dans la loi, la « négligence » équivaut souvent à la pauvreté.
- 18% des femmes autochtones de 15 ans et plus sont des mères seules, comparé à 8% des femmes non-autochtones, et elles ont des familles plus nombreuses que les mères monoparentales non-autochtones ;
- Les femmes autochtones ont peur de dénoncer la violence, et souvent elles ont peur de quitter un partenaire violent en raison de la crainte de l’enlèvement de leurs enfants.
- 44% des filles et des femmes autochtones vivant dans des réserves habitent des édifices qui ont besoin de réparations majeures ; 31% des filles et des femmes inuites vivent dans des logements surpeuplés, comparé à 3% des femmes non-autochtones. Dans les réserves, 26% des filles et des femmes des Premières nations vivent dans des conditions de surpeuplement.
- Les femmes et les filles autochtones sont également disproportionnellement criminalisées et incarcérées au Canada. En 2006, les Autochtones comptaient pour environ 3,8% de la population canadienne. Pourtant, 34% des femmes incarcérées sont autochtones.
- 35% des femmes autochtones de 25 ans et plus n’ont pas de diplôme de niveau secondaire. Seulement 9% des femmes autochtones de 25 ans et plus ont un diplôme universitaire, comparé à 20% de leurs homologues non-autochtones.
- Un nombre disproportionné des femmes les plus vulnérables parmi celles qui sont prostituées dans la rue sont autochtones. Elles sont très souvent aux prises avec des problèmes de toxicomanie, d’itinérance et de santé, y compris des maladies chroniques mettant leur vie en danger.
- 13,5% des femmes autochtones sont sans emploi, comparé à 6,4% des femmes non-autochtones. Parmi les femmes des Premières nations, celles qui vivent dans des réserves sont les plus susceptibles d’être sans emploi (20,6%).
- Les filles et les femmes autochtones sont poussées dans la prostitution en raison de leur marginalisation sociale et économique, et le fait d’être dans la prostitution augmente leur niveau de vulnérabilité à la coercition, aux agressions et à d’autres formes de violence.
- Les enfants autochtones sont près de dix fois plus susceptibles d’être pris en charge par les autorités que les enfants non-autochtones, et des spécialistes affirment qu’il y a plus d’enfants pris en charge aujourd’hui qu’à l’époque des pensionnats.
- Il y a une incidence plus élevée de problèmes de santé chroniques chez les femmes autochtones.
- Les femmes qui quittent des relations de violence doivent souvent se rabattre sur l’aide sociale, ce qui ne leur fournit pas un revenu suffisant pour prendre soin d’elles et de leurs enfants. On peut leur retirer leurs enfants en les accusant de « négligence », ou parce que les enfants ont été témoin de violence. Les femmes autochtones ont peur de signaler la violence, et ont souvent peur de quitter des partenaires violents par crainte de se faire enlever leurs enfants.
- En 2001, l’espérance de vie à la naissance pour les femmes autochtones était inférieure de 5 ans à celle de leurs homologues non-autochtones.
Commentaires des organes internationaux de défense des droits de la personne et de spécialistes en la matière
Dans le cadre des Examens périodiques du Canada entre 2005 et 2012, les instances de défense des droits de la personne des Nations Unies ont reconnu le sérieux des atteintes actuelles aux droits de la personne. Elles ont aussi reconnu les deux facettes indissolublement liées de la crise des meurtres et disparitions, et la multiplicité des obligations d’État qui sont en cause. De nombreux organes de surveillance de l’application des traités de l’ONU ont exprimé des préoccupations, parfois très détaillées, y compris :
- le Comité des droits de l’homme ;
- le Comité sur les droits économiques, culturels et sociaux ;
- le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale ;
- le Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ;
- le Comité contre la torture ;
- le Comité sur les droits de l’enfant.
L’extrême violence à l’égard des femmes et des filles autochtones au Canada a également été documentée par Rashida Manjoo, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence faite aux femmes, dans son rapport 2012 sur les meurtres sexospécifiques.
Pendant son Examen périodique universel du Canada en 2009, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a émis des recommandations concernant la violence à l’égard des femmes, et des femmes autochtones en particulier. Le Canada a accepté les principes qui sous-tendent ces recommandations, y compris celles qui recommandent au Canada de remédier aux échecs de la police à traiter adéquatement les crimes violents perpétrés contre des filles et des femmes autochtones, et de considérer leur statut socio-économique comme un des facteurs qui contribuent à la violence exercée contre elles.
En 2013, pendant le deuxième Examen périodique universel du Canada, vingt-cinq États participants ont étoffé et réitéré ces recommandations. Cependant, en 2013, le Canada a refusé d’accepter toute recommandation exigeant des actions spécifiques qui ne sont pas prises en considération présentement. Autrement dit, le Canada n’a accepté que les recommandations concernant des mesures déjà mises en œuvre. Le Canada a donc refusé les recommandations d’entreprendre une enquête publique pancanadienne sur les meurtres et les disparitions de filles et de femmes autochtones, et d’élaborer un plan d’action national pour aborder la violence à l’égard des filles et des femmes autochtones.
CEDEF

CIDH

Enquête publique pancanadienne
Au Canada, beaucoup de gens appuient l’idée d’une enquête publique pancanadienne, notamment, diverses organisations autochtones nationales, les gouvernements de l’ensemble des provinces et territoires, des organisations de femmes et des droits de la personne, des syndicats et des groupes confessionnels. Malgré cela, le gouvernement du Canada refuse d’entreprendre une enquête publique à la grandeur du pays. Le Canada n’a pas non plus pris les mesures coordonnées qui seraient nécessaires pour aborder les causes et les conséquences de la violence.
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